#Senegal
Denys Bédarride
26 avril 2020 Dernière mise à jour le Dimanche 26 Avril 2020 à 14:30

La pandémie due au Covid-19 pourrait faire basculer le continent africain dans une rupture systémique dont il est difficile d'évaluer parfaitement l'envergure.

Face à cela, la décision du G22 de suspendre le paiement des échéances de la dette de quarante pays africains leur offre certainement un ballon d’oxygène, mais elle est très loin de satisfaire aux besoins considérables associés à l’urgence et à la relance.

Au-delà, la question se pose : peut-on se louer d’effacer une dette qui n’a que peu contribué au développement de l’Afrique ?

Le premier traumatisme de la pandémie est à l’évidence humain. Le pronostic de la Commission économique pour l’Afrique (CEA) est tragique. Entre 300 000 et 3 300 000 Africains pourraient perdre la vie à cause du Covid-19, en fonction des mesures prises pour stopper la propagation du virus. Pour autant, l’ampleur de la catastrophe sanitaire est difficile à prévoir exactement. Dans le passé, les pays africains ont montré une résilience surprenante, tant à l’épidémie de H5N1 (grippe aviaire) qu’à l’épidémie d’Ébola, qui avaient pourtant fait l’objet de prévisions de désastre de très grande ampleur.

Si l’Afrique est particulièrement vulnérable, cela tient au fait que plus de la moitié de la population urbaine est concentrée dans des quartiers précaires et surpeuplés. Avec ses marchés ouverts, ses rassemblements religieux, ses transports bondés, ses quartiers précaires dortoirs� Autant de foyers de haute contamination. Selon l’Unicef, environ 258 millions de personnes n’ont pas un accès à proximité à un lieu pour se laver les mains. Difficile dans ces conditions de lutter contre la « transmission communautaire » et d’appliquer les mesures de distanciation sociale et les règles d’hygiène désormais répétées en boucle par les autorités.

De tous les continents, l’Afrique est celui qui a la plus forte prévalence de certaines pathologies préexistantes, comme la tuberculose et le VIH. Il est prévisible que toutes les autres maladies puissent « flamber » car les mesures de leur contrôle vont s’affaiblir puisque tous les regards et les efforts sont tournés vers le coronavirus. Pour ne parler que des vaccinations, le tétanos ni la rougeole ne se préoccupent du coronavirus et en l’absence de vaccinations régulières elles vont certainement repartir avec les ravages que l’on connaît.

Le deuxième traumatisme porte sur l’activité économique. La fermeture des lieux de travail, la perturbation des filières d’approvisionnement et le manque de main-d’�uvre due à̀ la maladie perturbent la production. En même temps, la perte de revenus, la peur de la contagion, la perte de confiance et l’incertitude accrue sont de facteurs qui réduisent la demande. Le chômage et le ralentissement économique affectent également les travailleurs de la diaspora et amenuisent leurs transferts de fonds. Selon les prévisions antérieures, ils devaient atteindre 65 milliards de dollars en 2020. La baisse des envois de fonds aura des répercussions en Afrique sur les petits États insulaires en développement, les pays les moins avancés et les pays touchés par des conflits.

Enfin le troisième traumatisme est d’origine externe. L’Afrique commence à subir les répercussions destructrices d’un affaissement mondial vers la récession. Déjà, les prix du pétrole chutent à moins de 25 dollars le baril (au 19 avril). Les exportateurs de pétrole comme le Nigeria, l’Algérie et l’Angola – où le pétrole représente plus de 90 % des exportations totales � vont rapidement sentir la violence du virus.

De faibles recettes issues des produits de base réduiront sensiblement les ressources de ces pays pour combattre l’épidémie et soutenir la croissance. La pandémie liée au Covid-19 a déjà bouleversé les relations économiques de l’Afrique avec la Chine en ralentissant fortement sa demande en pétrole et en produits miniers.

La chute du taux de change des monnaies comme la livre égyptienne, le rand sud-africain et le naira nigérian aura une incidence péjorative sur des économies tributaires des achats à l’extérieur du continent. Les pertes de revenus sont susceptibles générer une dette insoutenable

Source auteurs : Pierre Jacquemot et Marc Raffinot de la Fondation Jean Jaurès

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