Alors que le régime de Paul Kagamé s’est lancé depuis quelques années dans une réforme de tous les secteurs de l’économie, de la finance aux nouvelles technologies, en passant par la formation de pointe, les mines figurent également en bonne place. Le pays veut mettre en valeur son sous-sol en intensifiant non seulement l’exploitation minière, mais en travaillant également à devenir une référence dans la transformation finie ou semi-finie des produits miniers régionaux. A-t-il cependant les moyens de ses ambitions ? Analyse de l’Agence Ecofin.
Des objectifs ambitieux L’une des difficultés rencontrées par les pays africains dans leur marche vers le développement est parfois l’absence d’une boussole claire. Cet obstacle, l’Etat rwandais l’a surmonté très tôt en mettant en place des réformes destinées à faire de l’industrialisation un véritable levier de développement du secteur minier.
Dans cette optique, un document intitulé « Stratégie nationale de transformation » a été élaboré et adopté en 2017. Il fixe un certain nombre d’objectifs qui doivent être atteints, d’ici 2024.
Alors que la plupart des pays miniers africains laissent à des installations occidentales, le soin de transformer leur production de minerais, le Rwanda veut se charger de cette tâche sur son territoire.
Il s’agit donc de donner la priorité aux investissements qui apportent de la valeur ajoutée aux produits miniers nationaux, notamment les 3T : étain, tantale et tungstène. Cela aboutira à la construction d’un grand nombre d’usines destinées notamment à fondre la cassitérite en étain, à raffiner de la wolframite pour obtenir du tungstène, à transformer la tantalite en tantale. Une raffinerie d’or, « capable de traiter de grandes quantités d’or, en provenance de tout le continent », existe déjà.
Le pays deviendrait ainsi une alternative pour les producteurs d’or africains comme le Mali, le Ghana ou la Tanzanie, obligés actuellement d’envoyer leurs lingots en Suisse ou en Afrique du Sud.
Le Rwanda envisage même de se lancer dans la taille et le polissage des pierres précieuses, une activité peu pratiquée sur le continent.
« Le Rwanda est prêt à créer de la valeur ajoutée dans le secteur minier. La raffinerie d’or existante, la fonderie d’étain active et la future raffinerie de tantale prouvent cela », confirmait d’ailleurs en 2019 Aleksandra Cholewa, directrice de l’investissement et du développement chez Luma Holdings LTD, une société opérant dans le pays.
S’il réussit son pari, le gouvernement rwandais espère faire passer les recettes d’exportations minières annuelles de 373 millions $ en 2017 à environ 1,5 milliard $ d’ici 2024. Un investissement important, dans la construction de nouvelles fonderies notamment, est prévu pour soutenir la relance du secteur minier affecté par la crise de Covid-19, avec une croissance de 11,5 % espérée en 2021.
Par ailleurs, la création d’une chaine de valeur efficace pour la transformation de produits miniers ferait du pays une destination moins onéreuse pour les producteurs de la sous-région qui tireront également davantage de bénéfices de leurs sous-sols.
Un cadre réglementaire à la hauteur Construire un secteur industriel important et compétitif ne peut se réaliser qu’avec des investissements massifs. Pour lever ces fonds, le Rwanda s’est lancé dans une opération de charme auprès des bailleurs de fonds en toilettant ses différents lois et règlements. En plus du nouveau code minier qui a été adopté en 2018, le pays a mis sur pied, un an avant, le Rwanda Mines, Petroleum And Gas Board (RMB).
Cette institution est chargée de coordonner les actions du gouvernement dans le secteur des mines et des hydrocarbures, tout en conseillant l’Etat sur les moyens à mettre en œuvre pour les développer.
A cela s’ajoute l’existence, depuis 2008, du Rwanda Development Board (RDB), l’organisme chargé du soutien et de la promotion des investissements dans le pays. Placée sous l’autorité de la présidence, cette institution a notamment favorisé la mise en place d’un cadre réglementaire incitatif pour le développement du secteur minier.
Tous les investisseurs bénéficient ainsi d’une exonération d’impôts sur le revenu des sociétés allant jusqu’à 7 ans pour un investissement minimal de 50 millions $. Par ailleurs, les sociétés qui travaillent sur des projets d’exportation de minéraux transformés sur le sol rwandais ont droit à un impôt préférentiel de 15% sur le revenu, jusqu’à 50% du chiffre d’affaires. Les équipements miniers nécessaires à ces installations sont également exemptés d’impôts.
« Nous ouvrons notre secteur minier d’une manière qui n’a pas été faite dans le passé […] nous avons récemment révisé notre cadre réglementaire, de la politique au code et à la réglementation minière, pour non seulement rendre les entreprises compétitives, mais aussi pour fournir une plateforme qui permettra aux entreprises de se conformer facilement aux exigences réglementaires », résume Francis Gatare, PDG du RMB Dans le même temps, le gouvernement rwandais a œuvré en amont pour garantir aux acheteurs de la production nationale, la fiabilité du produit, notamment en ce qui concerne les accusations de « minerai de sang » ou « minerai de conflits ».
Le gouvernement a adopté un règlement anti-contrebande de minéraux en mars 2011 et, depuis cette date, 100% des minerais rwandais seraient traçables depuis leurs sites miniers jusqu’à leur point d’exportation. Symbole notable de cette réussite, la plus grande fonderie d’étain d’Afrique de l’Est, Luna Smelter, située au Rwanda, a été certifiée « exempte de conflits »en février dernier.
La distinction a été accordée par la Responsible Minerals Initiative, après une évaluation qui a constaté la conformité de l’installation aux différentes normes en la matière, notamment celle de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
L’exploitation minière en alternative Le Rwanda a posé les bases d’un futur succès sur la voie qu’il a tracée, et s’est donné les moyens pour y arriver. Néanmoins, s’il ne réussit pas rapidement à atteindre ses objectifs, il peut compter sur les richesses de son sous-sol pour assurer son développement à court et moyen termes. Il revendique déjà, faut-il le rappeler, la place de troisième producteur d’étain d’Afrique en 2018 (avec 2 400 tonnes) et constitue l’un des plus grands exportateurs du minéral.
Si des données fiables sur les ressources minières du pays sont rares, on sait néanmoins que le Rwanda héberge, outre les minéraux suscités, de l’or, des diamants, des terres rares, du lithium, du fer, du cobalt, etc. Le gouvernement a en effet lancé, au cours des dernières années, diverses campagnes de prospection qui ont permis de mettre à jour une partie du potentiel minier du pays.
Avec son cadre réglementaire favorable aux investissements, le pays peut attirer les compagnies minières pour exploiter ces propres ressources… à défaut de devenir un hub minier industriel pour la région des Grands Lacs, voire pour le continent.
Source Agence Ecofin
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