#Afrique
Denys Bédarride
2 octobre 2020 Dernière mise à jour le Vendredi 2 Octobre 2020 à 10:30

Le modèle chinois a pénétré l’Afrique pendant cinquante ans, entre 1960 et 2010, mais maintenant il s’essouffle. Quels sont les piliers qui ont fait sa force, notamment face à l’Europe ? L’analyse en cinq points de Jean-Louis Guigou, fondateur et président du comité stratégique de l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen (Ipemed).

Les Européens ont des ambitions économiques en Afrique – y trouver des leviers de croissance, stabiliser les populations – mais aussi politiques : « l’Afrique sera un partenaire essentiel pour bâtir le monde dans lequel nous voulons vivre », a déclaré le 16 septembre Ursula von der Layen, la présidente de la Commission européenne. Soit. Mais la forte pénétration des Chinois en Afrique impose à l’Europe de faire une offre attractive susceptible de concurrencer les cinq piliers du modèle chinois.

Le premier pilier, c’est le narratif. La Chine se présente comme un pays du tiers-monde en développement qui fut maltraitée par les Occidentaux… comme l’Afrique ; qui n’a pas encore sa place dans le concert des nations dominés par les Occidentaux… comme l’Afrique ; qui pourtant nourrit l’espoir de devenir une grande puissance économique et politique face à l’Occident vieillissant… comme l’Afrique. Ce narratif tiers-mondiste des années 1960-1970 fonctionne toujours. Il permet à la Chine de se faire des alliés pour se positionner à l’international.

Le second pilier, ce sont les financements chinois par des prêts. Peu d’investissements directs, pas de subventions ; mais des prêts faciles à obtenir et volumineux. Ces prêts octroyés par deux grandes banques chinoises étatiques sont en grande majorité destinés à des projets (infrastructures, environnement, zones industrielles…) construits par des sociétés d’État chinoises qui vendent aux pays africains l’ingénierie, le personnel, les équipements construits en Chine et exportés en Afrique.

La Chine est ainsi, avec ses prêts, gagnante sur le plan économique (augmentation du PIB chinois, plus les remboursements) et sur le plan politique, avec des clauses secrètes et des sources de corruption qui conduisent souvent à rendre les Africains captifs. En cas de non-remboursement, les Chinois négocient l’octroi de concession à long terme pour les mines ou les ports ou des votes dans les organisations internationales.

Le troisième pilier, ce sont des infrastructures physiques très souvent surdimensionnées, construites toujours en un temps record, mais en l’absence d’études préalables de rentabilité ou d’impact environnemental. Jusqu’à maintenant, l’argent chinois coulait à flot, ce qui n’est plus tout à fait le cas actuellement.

La ligne de chemin de fer qui devait être électrifiée entre Addis-Abeba et Djibouti est toujours citée en exemple comme un fiasco. Le résultat de ces investissements physiques démesurés conduit au surendettement des pays africains et à leur asservissement. De plus en plus de chefs d’État mettent en place des comités de suivi de ces investissements chinois pour contrôler le financement et l’utilité.

Le quatrième pilier, c’est la construction en Afrique par les Chinois des ZES (Zones économiques spéciales) qui ont fait les succès du développement dans l’Empire du milieu. Ce sont des zones protégées où se concentrent les économies externes (accessibilité, transport, énergies, services aux entreprises, formation professionnelle, avantages financiers), et où, en Afrique, se concentrent les entreprises chinoises qui se délocalisent sur le continent africain. Il y en aurait une douzaine, plus ou moins performantes, avec un succès notoire en Égypte.

Le cinquième pilier, c’est la communication. Elle est excellente. Les colloques et forums thématiques se multiplient. Les visites de chefs d’État sont magnifiées, les inaugurations valorisées à l’extrême.

Ce modèle chinois a très bien fonctionné pendant cinquante ans. Il s’essouffle. Les Africains endettés et captifs sont plus méfiants à la longue. Les Chinois ne font pas de l’Afrique leur priorité. Face aux États-Unis, ils ont d’autres centres d’intérêts. Une fenêtre d’opportunité s’ouvre pour l’Europe, qui implique un comportement de rupture avec l’ordre ancien, tant du côté européen que du côté africain, pour, ensemble, construire le monde de demain.

Ce texte est le fruit d’une longue discussion de Jean-Louis Guigou avec Thierry Pairault, l’un des meilleurs spécialistes des relations entre l’Afrique et la Chine.

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