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#Chine #Economie #Energie #Mine #Afrique
Agence Ecofin
17 juin 2025 Dernière mise à jour le Mardi 17 Juin 2025 à 17:42

Selon un nouveau rapport d’Atlantic Council, la Chine ne se contente pas de dominer le marché des terres rares, elle en verrouille l’accès mondial par une stratégie coordonnée de contrôle industriel, logistique, normatif et géopolitique. Ce système s’appuie sur un conglomérat d’État, des restrictions technologiques, des contrats d’approvisionnement verrouillés et des mécanismes de traçabilité imposés à l’export. Si le diagnostic appelle les puissances occidentales à s’inquiéter de ce verrouillage, les enjeux pour l’Afrique sont tout autres. Alors que le continent est vu comme une alternative à l’offre chinoise, sa place réelle dans la chaîne de valeur des terres rares pourra-t-elle réellement évoluer — et surtout, que peut-il y gagner concrètement ?

Le rapport « Mapping China’s strategy for rare earths dominance » du Global Energy Center d’Atlantic Council décrit un système dans lequel la Chine organise méthodiquement le verrouillage de l’accès mondial aux terres rares. Cette stratégie s’appuie d’abord sur une intégration opérée en 2021, avec la création du China Rare Earth Group, un conglomérat d’État qui regroupe les principaux acteurs de l’extraction, du traitement et de la fabrication d’alliages. Pékin a renforcé cette structure par un encadrement étroit de la production via des quotas, des licences et des contrôles environnementaux stricts appliqués sélectivement.

Une domination organisée

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Le contrôle se prolonge au niveau technologique, car les exportations de procédés industriels clés, comme la séparation ou la fabrication d’aimants, sont désormais interdites. Sur le plan réglementaire, un système de traçabilité numérique obligatoire est censé contraindre depuis octobre 2024 tous les opérateurs, y compris étrangers, à se conformer aux normes chinoises pour exporter ou traiter des produits à base de terres rares.

Le rapport souligne que la Chine cherche également à sécuriser des approvisionnements en dehors de son territoire, en soutenant les investissements de ses entreprises dans des projets miniers internationaux. Cette politique permet à Pékin de diversifier ses sources tout en maintenant un levier d’influence dans les échanges mondiaux.

Si les auteurs ne mentionnent pas de mines spécifiques, un projet en Afrique illustre cette logique. En Tanzanie, la société Shenghe Resources (détenue par l’Etat chinois) a signé en mai 2025 un accord de fusion-acquisition pour prendre le contrôle de Peak Rare Earths, propriétaire australien du projet de terres rares Ngualla, pour 97 millions $. Avant cette transaction, elle possédait déjà près de 20% de l’entreprise ainsi qu’un droit de préemption pendant 7 ans sur la production de Ngualla. Le gisement devrait livrer annuellement 37 200 tonnes de concentré de terres rares sur plus de 20 ans.

Ce que l’Afrique gagne vraiment dans la filière

Comme expliqué précédemment par Agence Ecofin , plusieurs pays du continent abritent des projets de terres rares en développement  à différents stades. Au-delà du cas tanzanien illustré plus haut, d’autres pays se positionnent, et la manière dont ils le font apporte plusieurs clés de compréhension.

En Angola, Pensana a démarré en mai dernier la construction de la mine de Longonjo, qui doit livrer 20 000 tonnes par an d’un concentré de terres rares utilisé pour fabriquer des aimants permanents entrant dans la composition de véhicules électriques ou d’éoliennes. L’Angola participe activement au développement (surtout à travers son fonds souverain), mais le traitement du minerai produit se fera dans une usine installée à Hull, au Royaume-Uni. Au Malawi, la mine Kangankunde devrait entrer en production au premier trimestre 2026. Porté par Lindian Resources, le projet prévoit l’extraction de plus de 685 000 tonnes de concentré sur 45 ans, avec un financement déjà sécurisé via un accord de vente à Gerald Metals. En Afrique du Sud, le projet Phalaborwa (Rainbow Rare Earths) d’une rentabilité estimée à 611 millions $ sur 16 ans cible une production de 1 900 tonnes annuelles d’oxydes de terres rares à aimants. Pour l’heure, les parties prenantes du projet n’ont pas encore évoqué de plans de valorisation locale de la production.

Si Benchmark Mineral Intelligence prédit que les futures mines pourraient permettre à l’Afrique d’assurer jusqu’à 9 % de l’approvisionnement mondial à l’horizon 2029, les réels profits qu’en tireront les pays concernés peuvent être largement optimisés. Dans la plupart des cas évoqués, les opérations sont portées par des compagnies étrangères, avec des financements extérieurs, une production exportée et une transformation réalisée hors du continent. Le rapport de l’Atlantic Council souligne que le contrôle chinois sur les technologies de séparation et de fabrication d’aimants renforce cette logique. Même quand les minerais sont extraits hors de Chine, indiquent les auteurs, ils finissent souvent dans des circuits dominés par Pékin.

Quelles options pour les pays africains ?

Comment les pays africains peuvent-ils optimiser les profits tirés de la filière terres rares ? Même si le rapport de l’Atlantic Council ne formule pas de recommandations spécifiques pour les pays africains, ses constats permettent de tirer plusieurs enseignements.

Dans un contexte de rivalité géopolitique autour de ces minéraux, la pression réglementaire exercée par l’Union européenne, avec ses objectifs de production locale de 10 % et de transformation locale de 40 % d’ici 2030, crée une demande potentielle à laquelle les pays africains peuvent répondre. Encore faut-il qu’ils se positionnent comme partenaires industriels crédibles et non comme simples fournisseurs de concentré. L’installation d’unités de traitement dans des pays tiers, comme au Royaume-Uni pour la mine angolaise de Longonjo, montre que cette transition ne va pas de soi.

Surtout, la gouvernance de ces projets reste largement aux mains d’acteurs étrangers. Les différents exemples montrent que plusieurs paramètres (appropriation nationale, capacité de négociation sur la transformation locale) peuvent être améliorés si ces pays ne veulent pas reproduire un modèle extractif déjà bien connu et dont l’impact sur le développement reste discutable. Pourtant, consentir davantage d’efforts dans l’encadrement des partenariats miniers, conditionner les permis à des engagements de transformation, ou encore mutualiser les capacités à l’échelle régionale sont des pistes crédibles à explorer pour transformer leur rôle dans la filière – et en tirer des gains plus durables.

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