Plus de 55% des exportations ivoiriennes de cacao sont intraçables. Les sociétés de négoce des matières premières et les entreprises de confiserie sont exposées à des niveaux élevés de déforestation en Côte d’Ivoire (rapport).
La filière cacaoyère ivoirienne, qui représente le principal moteur de la déforestation dans le pays, est encore confrontée à un manque criant de traçabilité et de transparence, selon un rapport publié le 31 janvier dernier par des chercheurs de l’Université catholique de Louvain (Belgique) dans la revue scientifique Environemental Research Letters.
Le rapport qui se base notamment sur des données de Trase, une plateforme qui cartographie les chaînes d’approvisionnement des matières premières agricoles liées à la déforestation, révèle que moins de 45% des exportations ivoiriennes de cacao peuvent être tracées jusqu’aux coopératives de producteurs. L’origine de plus des 55% restants est inconnue, car les négociants s’approvisionnent indirectement auprès d’intermédiaires ou ne divulguent pas d’informations sur leurs fournisseurs.
Les chercheurs ont également examiné l’approvisionnement en cacao de huit grands négociants qui ont traité 60% des exportations ivoiriennes en 2019, en l’occurrence Cargill, Barry Callebaut, Olam, Touton, Sucden, S3C, ECOM et Africa Sourcing. Ils ont constaté que la part de l’approvisionnement indirect chez ces négociants, et dont la source est naturellement impossible à identifier, varie entre 25% (ECOM) et plus de 70% (Sucden), ce qui pose « de sérieux problèmes de traçabilité ».
De plus, un tiers du cacao a été exporté par de grands négociants, dont S3C et Africa Sourcing, ainsi que de nombreuses petites entreprises qui ne divulguent aucune information sur leurs fournisseurs.
Une très faible traçabilité jusqu’aux plantations
Le rapport souligne d’autre part que la traçabilité des exportations de cacao jusqu’aux exploitations agricoles est encore plus faible. Les sept négociants membres de l’Initiative Cacao et Forêts (Cocoa and Forests Initiative/CFI), un partenariat entre 35 entreprises de la chaîne d’approvisionnement du cacao et les gouvernements de Côte d’Ivoire et du Ghana, qui vise à atteindre une traçabilité de 100% de la chaîne d’approvisionnement, ont cartographié 69 % des volumes de leurs approvisionnements directs auprès de coopératives en 2019. Mais lorsqu’on ajoute les approvisionnements indirects, les négociants membres la CFI n’ont cartographié qu’environ 40% de la totalité des plantations ivoiriennes qui les approvisionnent, ce qui représente moins de 5% des exportations de cacao du pays en 2019.
Des millions d’hectares
Le rapport indique par ailleurs que la production de cacao constitue une source majeure de déforestation en Côte d’Ivoire. Entre 2000 et 2019, environ 2,4 millions d’hectares de forêt ont été remplacés par des plantations de cacao, une superficie presque équivalente à la taille du Rwanda. Cela représente 45 % de la déforestation totale et de la dégradation des forêts du pays.
En outre, 25 % de la superficie utilisée pour la production de cacao en 2019 était située dans des zones « protégées » et des réserves forestières, telles que répertoriées par la législation environnementale locale, qui est rarement appliquée en raison de la faiblesse de la gouvernance.
Forte exposition de quatre groupes de négoce
Les sociétés de négoce des matières premières et les entreprises de confiserie qui achètent du cacao en Côte d’Ivoire sont ainsi confrontées à des risques réglementaires et de réputation croissants du fait de leur association à la déforestation.
Trase a d’ailleurs calculé l’exposition à la déforestation des négociants en cacao en Côte d’Ivoire entre 2000 et 2015 grâce à l’analyse de la production de cacao et des données commerciales, combinées à une cartographie satellite de la déforestation, afin de relier les régions productrices de cacao aux marchés où il est consommé.
Ces calculs montrent que les exportations de Cargill ont été exposées à 183 000 hectares (ha) de déforestation, devant celles d’Olam (165 000 ha), de Barry Callebaut (158 000 ha) et de Touton (99 000 ha).
Selon les mêmes calculs, l’Union européenne et le Royaume-Uni, qui absorbent près des deux tiers des exportations ivoiriennes, étaient associés à la déforestation de 838 000 ha qui ont été transformés en plantations de cacao.
Le rapport conclut que les mesures visant à accroître la traçabilité axée sur la demande, telles que la nouvelle réglementation « zéro déforestation » de l’Union européenne (UE), qui oblige les entreprises à mener un processus de diligence raisonnable dans leurs chaînes d’approvisionnement et de démontrer que leurs produits ne causent pas de déforestation, sont insuffisantes pour lutter contre la déforestation, en particulier concernant le cacao, pour lequel une grande partie de l’approvisionnement provient de sources indirectes.
Les chercheurs de l’Université catholique de Louvain recommandent dans ce cadre aux négociants d’œuvrer au-delà de leurs chaînes d’approvisionnement individuelles pour améliorer la gouvernance et la planification de l’utilisation des terres, grâce à une collaboration formelle avec les parties prenantes, notamment le gouvernement central, les autorités locales, les agriculteurs, les communautés et les organisations de la société civile pour sauver les dernières forêts d’Afrique de l’Ouest.
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