Selon les données publiées début 2023 par Center for Global Development, en Afrique subsaharienne, quelle que soit la manière dont la terre a été acquise, environ 30 % des femmes possèdent des terres contre 70 % des hommes. Pourtant, plusieurs études et rapports ont déjà montré l’impact qu’un plus grand accès des femmes aux ressources foncières peut avoir sur le développement économique du continent.
Malgré les efforts consentis au niveau de certains États pour changer la donne, plusieurs défis restent à surmonter pour rendre l’accès au foncier, en particulier le foncier agricole, plus inclusif. À la CLPA 2023, la question fait l’objet de vives discussions, notamment dans le contexte de la mise en œuvre de la Zlecaf.
D’après le Center for Global Development, près de 90% des femmes employées travaillent dans l’informel, qui représente entre 50 et 80% de l’activité économique de l’Afrique subsaharienne. La même source indique que les femmes comptent pour 57% des travailleurs du secteur agricole dans la région. Plusieurs études et rapports ont montré comment le secteur peut assurer la sécurité alimentaire du continent, si l’autonomisation des femmes africaines devient une réalité.
Cette autonomisation doit passer par une participation équitable à toutes les chaines de valeurs agricoles. Selon un rapport d’ONU Femmes, elle se traduit par quatre facteurs clés à savoir l’accès des femmes aux marchés, la résilience au changement climatique, l’accès au financement ou encore, et surtout, l’accès des femmes à la terre.
Concernant ce dernier point crucial, Eileen Wakesho, directrice d’un programme de protection des terres communautaires au Kenya, relevait lors d’une session à la CLPA 2023 qu’en Afrique les femmes travaillent plus dans les fermes agricoles qu’elles n’en possèdent elles-mêmes. Pourtant, d’après les experts présents à cette conférence, avec une tenure foncière sécurisée, les femmes peuvent investir dans des activités agricoles, augmenter la productivité et produire des excédents agricoles pour le commerce.
Avec une tenure foncière sécurisée, les femmes peuvent investir dans des activités agricoles, augmenter la productivité et produire des excédents agricoles pour le commerce.
Dans la perspective de la Zlecaf, les femmes ont l’opportunité d’accéder aux marchés régionaux et de commercer leurs produits agricoles, contribuant à la sécurité alimentaire, à la réduction de la pauvreté et à la promotion de l’intégration économique. De nombreuses femmes africaines sont des agricultrices à petite échelle dépendantes de l’accès à la terre pour la production agricole. Des droits fonciers sécurisés permettent aux femmes d’investir dans leurs exploitations et d’augmenter la productivité. Cela stimule l’approvisionnement alimentaire et les opportunités de commerce intra-africain des produits agricoles.
Agricultrices à petite échelle, pas propriétaires de fermes agricoles
En Afrique, de nombreuses femmes agricultrices à petite échelle dépendent de l’accès au foncier pour augmenter leur production. Si le pourcentage moyen d’accès des femmes au foncier est d’environ 30% comme susmentionné, les disparités hommes-femmes sont plus marquées dans certains pays que dans d’autres. Selon un article d’Atlantic Council paru en avril 2023, la disparité dans la propriété foncière découle en partie des lois successorales.
« Dans certains des pays en insécurité alimentaire, l’héritage joue un rôle prépondérant dans la détermination de la propriété foncière. Certaines lois successorales dans la région sont, ou étaient initialement, patriarcales, favorisant les hommes dans la répartition des biens », indique le think tank.
Dans un entretien accordé à Agence Ecofin en marge de la CLPA 2023, Yaram Fall, présidente du Collège national des femmes du Cadre national de concertation des ruraux (CNCR) au Sénégal explique la situation dans son pays. Selon elle, il n’y a pas de discrimination hommes femmes au niveau de la loi, celle-ci indiquant qu’il faut « donner la terre à ceux ou celles qui en demandent ».
Si son organisation milite pour sensibiliser les femmes à une prise de conscience de leur droit d’accès à la terre, elle indique cependant qu’elle rencontre des difficultés dans certaines zones du pays, le Sénégal étant fortement traditionaliste. Dans ces zones, certains continuent de dire que la femme n’a pas le droit de posséder la terre, elle peut simplement la demander pour cultiver, et cette culture doit servir uniquement à nourrir la famille, pas au commerce.
Au Sénégal, certains continuent de dire que la femme n’a pas le droit de posséder la terre, elle peut simplement la demander pour cultiver, et cette culture doit servir uniquement à nourrir la famille, pas au commerce.
Aussi, apprend-on, certains chefs de village continuent de chasser les délégations de sensibilisation des femmes, sous prétexte, qu’elles « perturbent l’hégémonie familiale ». Dans certaines familles, des pères louent des lopins de terre à leurs femmes pour la culture alors que la production est destinée à nourrir la même famille.
Une étude lue par l’Agence Ecofin dans le cadre de ce dossier va dans le même sens que les explications de Mme Fall. On y apprend qu’à peine 15% des femmes ont accès au foncier au Sénégal et que les femmes ayant accès au foncier ne possèdent aucun acte de propriété sur les terres qui leur appartiennent. Par ailleurs, elles ont davantage recours à l’emprunt pour accéder à la terre que d’autres groupes d’exploitants.
Des initiatives pour changer la donne
Si la question de l’accès des femmes au foncier agricole fait couler beaucoup d’encre dans la plupart des pays africains, il faut noter que des efforts sont consentis par les ONG, les États, les organisations régionales et les autres parties prenantes pour changer la donne. Selon Josefa Leonel Correia Sacko, Commissaire en charge de l’Agriculture, du Développement rural, de l’Économie bleue et de l’Environnement durable, de la Commission de l’UA, l’engagement envers la sécurisation des droits fonciers des femmes a attiré une attention significative et s’est traduit par des actions concrètes dans divers États membres.
« Des efforts louables ont été déployés en Tanzanie, en République démocratique du Congo, en Guinée et au Malawi pour élever les droits fonciers des femmes dans les politiques et les lois, et prendre des mesures pour remédier aux lacunes identifiées. Grâce à des interventions politiques ciblées, des réformes juridiques et des campagnes de sensibilisation, nous avons observé des progrès tangibles dans l’élévation du statut des femmes en tant qu’actrices clés dans la gouvernance foncière […] », a-t-elle déclaré à la CLPA 2023.
« Des efforts louables ont été déployés en Tanzanie, en République démocratique du Congo, en Guinée et au Malawi pour élever les droits fonciers des femmes dans les politiques et les lois, et prendre des mesures pour remédier aux lacunes identifiées. »
En 2016, il faut rappeler que l’UA a lancé une campagne visant à attribuer 30 % des terres aux femmes africaines d’ici 2025 pour la transformation économique de l’Afrique. Pour Leontine Kanziemo, Conseillère en gestion des ressources naturelles de la BAD, les gouvernements devraient continuer à investir dans le soutien aux agricultrices.
« Après le lancement du Protocole de Maputo en 2003, les gouvernements africains ont convenu que les pays consacreraient 10 % de leurs dépenses publiques à l’agriculture pour augmenter la productivité agricole. L’investissement dans l’agriculture signifie permettre aux agricultrices de surmonter les obstacles auxquels elles sont confrontées et de les soutenir pour renforcer leurs capacités et accéder aux marchés », a-t-elle indiqué.
L’accès au foncier agricole, mais pas que…
Les différentes initiatives pour impulser du changement en ce qui concerne l’accès des femmes aux terres ont certes aidé à améliorer la situation sur le continent, mais ces améliorations peuvent être encore plus grandes. Dans l’entretien accordé à Agence Ecofin en marge de la CLPA 2023, Yaram Fall a appelé les différentes parties prenantes à aller au-delà du simple slogan « accès des femmes à la terre ».
Elle a indiqué qu’il faut assurer la formation des femmes, les sensibiliser sur les procédures d’obtention, parce que ça leur permettrait de connaître les chemins et les stratégies pour accéder au foncier.
De plus, le but ne doit pas être seulement d’augmenter l’accès des femmes au foncier, mais de se soucier aussi de leur donner les moyens et les outils nécessaires pour assurer la mise en valeur. Au Sénégal par exemple, explique-t-elle, d’autres problèmes se posent comme la qualité des terres agricoles accordées aux femmes (certaines terres ont trop de sel), ou encore l’accessibilité aux terres (certaines terres agricoles se trouvent très loin des ménages).
Ce dernier point soulève la question de l’accès au financement ou de l’autonomisation financière des femmes, tout aussi importante que l’accès au foncier agricole.
« Posséder des terres va de pair avec l’accès aux services financiers. Dans les pays de ces régions en insécurité alimentaire en Afrique, les agriculteurs doivent avoir des titres de propriété pour accéder au crédit nécessaire pour accroître la productivité agricole […]. Cependant, tout comme les droits des femmes à posséder des terres sont entravés dans certains pays, leurs droits à l’entreprise le sont parfois également », indique à juste titre l’article d’Atlantic Council évoqué plus haut.
Ainsi, dirigeants et autres décideurs doivent multiplier les efforts pour trouver des solutions en n’isolant pas la problématique de l’accès des femmes aux fonciers, mais en travaillant au même moment pour faciliter l’accès à toutes les autres ressources de production agricoles.
Comme le dit la FAO dans un rapport, « il faut éliminer les inégalités entre les sexes en ce qui concerne la productivité et garantir un accès équitable aux ressources, aux intrants et aux marchés ».
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