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#Agriculture #Alimentaire #Commerce #AfriqueDeLOuest
tristangorgeret
24 juin 2025 Dernière mise à jour le Mardi 24 Juin 2025 à 10:38

Les statistiques officielles sous-estiment l’ampleur du commerce intra-africain des denrées alimentaires. Une nouvelle estimation réalisée par un organisme affilié à l’OCDE rebat les cartes de la compréhension de ce secteur souvent considéré comme marginal.

En Afrique de l’Ouest, près de 85 % du commerce alimentaire entre les pays de la région échappe aux circuits formels et n’est pas comptabilisé par les douanes ou les administrations. C’est ce que révèle un rapport publié en juin 2025 par le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

Intitulée « Intra-regional Food Trade in West Africa: New Evidence, New Perspectives », l’étude estime que la valeur réelle de ces échanges atteindrait en moyenne près de 10 milliards $ par an, soit six fois plus que les données officielles enregistrées entre 2014 et 2022.

D’après une enquête réalisée en 2014, l’OCDE indique que le Nigeria, qui est le plus grand marché d’Afrique de l’Ouest, a échangé pour 3 milliards $ de nourriture avec ses voisins, mais que la moitié de ces flux n’a pas été enregistrée par les canaux officiels.

Cette analyse jette un nouveau regard sur le commerce alimentaire intrarégional en Afrique de l’Ouest et met aussi en lumière des disparités dans la nature des produits agricoles et alimentaires échangés via les circuits informels.

Selon l’OCDE, les statistiques officielles capturent surtout les échanges de produits transformés ou standardisés, comme les huiles comestibles, les aliments industriels, le café, le cacao, le thé ou les épices. En revanche, une grande partie des denrées de base et des aliments de consommation courante passe sous les radars.

Ainsi, près de 95 % des échanges de racines et tubercules (manioc, igname), 84 % des céréales, 72 % des légumes, 62 % des fruits et plus de la moitié des protéines animales ne sont tout simplement pas comptabilisés dans les statistiques officielles.

Il convient de noter que ce n’est pas la première fois qu’une étude remet en question la fiabilité des statistiques commerciales et la méconnaissance du commerce intrarégional dans la sous-région ouest-africaine. L’édition 2024 de l’Africa Agricultural Trade Monitor (AATM), un rapport annuel analysant les tendances du commerce agricole en Afrique publié sur la plateforme ReSAKKS, abondait déjà dans le même sens que l’OCDE et soulignait aussi « des niveaux significatifs » du commerce informel dans la sous-région.

« En 2018 par exemple, les importations du Burkina Faso en provenance de neuf pays de la CEDEAO, portant sur 178 produits [agricoles, NDLR], ont été estimées à plus de 19 millions $ [par le Comité Permanent Inter-États de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel (CILSS), NDLR], tandis que la base de données Comtrade indique que ces importations, dans le cadre des mêmes relations bilatérales, ne représentaient que 334 000 $ », révélait alors l’AATM, sur la base des résultats d’une enquête réalisée dans le pays des Hommes intègres.

D’après l’AATM, le commerce informel en Afrique de l’Ouest s’explique principalement par l’existence de réseaux ethniques transfrontaliers et l’absence de droits de douane sur les produits locaux, ce qui réduit l’incitation à formaliser les transactions. À cela s’ajoutent les barrières non tarifaires, les interdictions commerciales et le harcèlement aux frontières, qui poussent les acteurs à éviter les circuits formels.

Globalement, la sous-évaluation de l’ampleur réelle des échanges alimentaires entre pays ouest-africains fausse l’évaluation des besoins en infrastructures commerciales, logistiques et douanières. Elle complique également la coordination des politiques agricoles au sein de la CEDEAO, notamment pour les produits de base essentiels à la sécurité alimentaire comme les céréales ou les tubercules, dont la majorité circule en dehors des circuits formels.

« Le manque de données sur ces flux commerciaux empêche d’évaluer pleinement leur contribution à la sécurité alimentaire et nutritionnelle, tout en faussant les politiques et les réponses aux crises. Une compréhension plus approfondie du commerce intrarégional, appuyée par des données précises et actualisées, est essentielle pour concevoir des politiques efficaces visant à diversifier l’approvisionnement alimentaire, améliorer l’accessibilité et stabiliser les prix », souligne l’OCDE.

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