Avec un PIB par habitant de 1 606 dollars début 2022, le Sénégal, pays du train le plus rapide d'Afrique subsaharienne, affiche désormais un niveau de richesse par habitant près de deux fois supérieur à celui du Rwanda, parfois surnommé le « Singapour africain ». Le dynamisme sénégalais s'accompagne d'une modernisation rapide du pays, qui maîtrise dans le même temps sa dépendance aux aides publiques étrangères au développement, et démontre, par ailleurs, que progrès et démocratie ne sont pas incompatibles.
Selon les dernières données publiées par la banque mondiale, le PIB par habitant du Sénégal s’établissait à 1 606 dollars début 2022, contre seulement 834 dollars pour le Rwanda, qui affiche ainsi un des niveaux les plus faibles du continent, où il se classe à la 38e position. L’écart ne s’est donc guère réduit au cours de la dernière période quinquennale 2017-2021, et a même légèrement augmenté puisque les deux pays affichaient, respectivement, un PIB par habitant de 1 267 dollars et 745 dollars fin 2016.
Le dynamisme sénégalais
Le niveau relativement élevé atteint par le Sénégal, par rapport au reste de l’Afrique subsaharienne, résulte du grand dynamisme économique du pays, dont la croissance du PIB s’est établie à 5,1 % en moyenne annuelle sur la période de cinq années 2017-2021, malgré la grave crise économique ayant secoué le monde en 2020. Une année particulièrement difficile, et à l’issue de laquelle le Sénégal avait d’ailleurs fait partie de la minorité de pays africains ayant connu une évolution positive (+1,3 %).
En tenant compte des taux de croissance et du niveau de richesse par habitant déjà atteint (deux éléments nécessaires pour toute comparaison sérieuse, les pays les plus pauvres réalisant plus facilement des taux de croissance élevés), le Sénégal fait ainsi probablement partie des trois pays les plus dynamiques du continent, avec la Côte d’Ivoire et le Kenya. En effet, la Côte d’Ivoire a enregistré une croissance annuelle de 5,9 % en moyenne sur la période 2017-2021, soit la deuxième plus forte progression du continent (derrière l’Éthiopie), alors même qu’elle affichait un PIB par habitant déjà assez élevé, et atteignant 2 579 dollars début 2022 (contre seulement 944 dollars pour l’Éthiopie, un des pays les plus pauvres d’Afrique).
Une forte croissance qui lui a d’ailleurs permis de devenir le pays le plus riche de toute l’Afrique de l’Ouest continentale, malgré de modestes richesses naturelles en comparaison avec le Ghana et le Nigeria voisins (qui connaissent actuellement une grave crise économique).
De son côté, le Kenya, qui était déjà le pays le plus riche d’Afrique de l’Est (hors très petits pays insulaires et Djibouti), a tout de même observé une évolution annuelle assez robuste de 4,3 %, pour atteindre un PIB par habitant de 2 007 dollars début 2022. Quant au Sénégal, et malgré une richesse très largement supérieure, il est parvenu à avoir un niveau de croissance comparable à celui du Rwanda, qui a enregistré un taux de 5,8 % en moyenne annuelle sur la période 2017-2021. Ce qui ne permit guère à ce dernier de combler son retard par rapport au Sénégal, qui a même légèrement creusé l’écart compte tenu du fait que l’évolution du PIB par habitant, calculé à prix courants, dépend également d’autres facteurs, comme l’évolution du cours de la monnaie nationale et des produits d’exportation.
Les bonnes performances économiques du Sénégal sont elles-mêmes le fruit des nombreuses mesures prises au cours des dernières années, et s’inscrivant en bonne partie dans le cadre du Plan Sénégal émergent (PSE). Débutée en 2014, la mise en œuvre de cette stratégie décennale permit de doubler le taux de croissance annuel moyen du pays, grâce aux réformes accomplies en matière d’amélioration du climat des affaires, à une politique de grands travaux et à une politique active de diversification des sources de revenus, en s’appuyant notamment sur le développement du secteur agricole, des industries agroalimentaires, des industries des matériaux de construction ou encore du secteur du numérique et des nouvelles technologies.
À titre d’exemple, le secteur agricole a connu une forte expansion de la culture du riz, dont la production a presque triplé au cours de la dernière décennie dans un pays où cette céréale est un des piliers de l’alimentation locale, et qui ambitionne d’atteindre prochainement l’auto-suffisance en la matière. La hausse spectaculaire de la production avait d’ailleurs été initiée à la suite des émeutes de « la faim » de 2008, preuve que le Sénégal aurait pu commencer bien plus tôt, comme certains pays arabes et asiatiques avant lui…
Quant aux nouvelles technologies, et grâce à un cadre réglementaire de plus en plus propice à l’investissement, le Sénégal a vu se multiplier les entreprises liées au numérique et à l’internet. Le secteur connaît un tel dynamisme que le pays vient de faire son entrée parmi les dix pays les plus innovants du continent africain, selon le dernier classement international publié par l’Organisation internationale de la propriété intellectuelle (Indice mondial de l’innovation, 2022).
Si le Sénégal, classé 99e au niveau mondial et 10e au niveau africain, demeure encore assez largement derrière l’Afrique du Sud (61e place mondiale) et le Maroc (67e), le pays fait désormais presque aussi bien que l’Égypte (89e, et 7e en Afrique), et dépasse des pays comme le Rwanda (respectivement 105e et 11e) et le Nigeria (114e et 15e). De même, le Sénégal dépasse désormais quelques pays d’Amérique centrale, à savoir le Salvador, le Nicaragua, le Guatemala et le Honduras.
Par ailleurs, il est également à noter que le Sénégal continue à s’affirmer comme pôle majeur de la médecine en Afrique. Chose qu’il fut encore possible de constater lors de la signature d’un accord, en juillet 2021, avec des pays et institutions de l’Union européenne, les États-Unis et la Banque mondiale, portant sur la construction d’une usine de production de vaccins destinés au continent (contre le covid-19 et des maladies endémiques).
Une modernisation rapide du pays
Les nombreuses avancées en matière de création de richesse sont allées de pair avec une modernisation rapide du pays, où se sont multipliés les grands chantiers d’infrastructure au cours des quelques dernières années : ponts, autoroutes, aéroports, centrales électriques ou encore installations sportives (comme avec la récente inauguration, en février 2022, d’un stade ultra moderne de football de 50 mille places, souvent présenté comme « le plus beau stade d’Afrique »). Quant aux transports publics, le pays s’est dernièrement distingué par la mise en service, en décembre 2021, d’un train express régional pouvant atteindre la vitesse de 160 km/h dans l’agglomération dakaroise, et faisant de lui le train le plus rapide de toute l’Afrique subsaharienne, à égalité avec le Gautrain sud-africain (le TGV marocain étant, pour sa part, le plus rapide de l’ensemble du continent, avec une vitesse de 320 km/h).
Parallèlement à cette politique de grands travaux, le Sénégal a également accompli de grandes réalisations en matière d’amélioration du niveau et de la qualité de vie de la population. Ainsi, et selon les dernières données de la Banque mondiale, le taux d’accès à l’électricité a atteint 70,4 % de la population fin 2020, plaçant ainsi le Sénégal à la septième place des pays d’Afrique subsaharienne, hors minuscules États insulaires (ne pouvant être pris en compte pour de pertinentes comparaisons).
Le pays fait ainsi largement mieux que le Rwanda, qui affichait un taux de seulement 46,6 %, soit moins de la moitié de la population et en dessous de la moyenne subsaharienne de 48,4 % (malgré la petite taille du territoire, sept fois et demie moins étendu que le Sénégal). De même, et toujours hors très petits pays insulaires, le Sénégal se classe à la sixième position en Afrique subsaharienne pour ce qui est du pourcentage de la population utilisant internet, avec un taux de 43 % en 2020, contre 27 % pour le Rwanda, qui se situe là aussi en dessous de la moyenne subsaharienne, mais qui est parfois surnommé le « Singapour africain » (le pays étant un important client des agences de communication internationale).
Quant à la mortalité infantile, le Sénégal arrive à la deuxième place, avec un taux de 29 décès pour 1000 naissances vivantes, se classant tout juste derrière l’Afrique du Sud (26) et devant le Rwanda (30), qui arrive en sixième position. Toutefois, si le Rwanda a réalisé d’importantes avancées en matière d’accès aux soins et de santé publique, les inégalités sociales et le taux d’extrême pauvreté y demeurent encore très élevés, avec une importante partie de la population vivant avec moins de 2,15 dollars par jour en parité de pouvoir d’achat (nouveau seuil d’extrême pauvreté retenu par les institutions internationales, depuis la rentrée 2022).
Ainsi, et selon les dernières données de la banque mondiale, parfois relativement anciennes mais permettant de se faire une idée approximative, le taux d’extrême pauvreté atteignait non moins de 52 % de la population rwandaise en 2016, contre seulement 9,3 % pour le Sénégal en 2018. Il est d’ailleurs à noter que la réalisation d’études en la matière est assez difficile au Rwanda, qui s’était même distingué en 2005 en obligeant les agents de la Banque mondiale à détruire sur place l’intégralité de leurs études sur la pauvreté dans le pays. Un acte assez inhabituel au niveau international, mais qui n’a pourtant fait l’objet d’aucune protestation officielle de la part de cette grande institution, grâce à l’opposition des États-Unis.
Par ailleurs, il convient de rappeler qu’une partie de la richesse produite par le Rwanda provient de l’exploitation illégale des ressources minières de l’est de la République démocratique du Congo (RDC). S’il n’est pas si rare de voir des pays puiser illégalement dans les richesses de leurs voisins (comme, par exemple, avec l’exploitation du bois précieux sénégalais par la Gambie), le Rwanda se distingue toutefois en étant le seul et unique pays au monde à le pratiquer à grande échelle, au point de se classer souvent parmi les deux principaux producteurs et exportateurs mondiaux de tantale, un élément stratégique extrait à partir d’un minerai appelé coltan, alors que son sous-sol en est pratiquement dépourvu. Une situation ubuesque dont est victime la RDC depuis de nombreuses années, mais qui est rendue possible par une féroce protection diplomatique américaine et britannique au profit des autorités rwandaises… facilitée par une certaine indifférence des pays africains et de l’Union africaine.
Transparence et bonne gouvernance
Les grands progrès économiques et sociaux réalisés par le Sénégal se sont accompagnés d’importantes avancées en matière de lutte contre la corruption, de transparence et de bonne gestion des deniers publics. Ainsi, et en se positionnant à la 73e place mondiale dans le dernier classement établi par l’organisation non gouvernementale Transparency international (Indice de perception de la corruption, 2022), le Sénégal fait désormais partie des pays les moins corrompus du continent Africain, et fait même presque partie du premier tiers des pays les plus vertueux en la matière dans le monde. Sur le plan africain, le Sénégal se classe maintenant à la 11e place, au même niveau que la Gabon (11e, ex aequo), juste derrière l’Afrique du Sud (10e, et 70e au niveau mondial), et loin devant des pays comme le Kenya et le Nigeria, qui occupent respectivement la 128e et la 154e place mondiale.
De plus, il est à noter que les progrès économiques et sociaux accomplis par le Sénégal s’accompagnent également d’une maîtrise de la dépendance aux aides extérieures, contrairement au Rwanda qui continue à faire partie des dix pays africains les plus dépendants de la charité internationale. En effet, et selon les dernières données de la Banque mondiale, l’ensemble des aides publiques au développement (APD) reçues par le Sénégal en 2020 n’ont représenté que 6,7 % du Revenu national brut, contre non moins de 16,3 % pour le Rwanda, qui occupait la neuvième place continentale, comme en 2019, en se classant entre la Gambie et le Niger.
Une situation plutôt inattendue pour un pays dont les plus hautes autorités ont régulièrement affirmé que l’Afrique devait apprendre à se développer par elle-même (et dont le Président avait même déclaré que le continent n’avait pas besoin de « Baby-sitter »). Par ailleurs, il est également à noter que l’importance des aides reçues par le Rwanda n’a nullement empêché la hausse constante de l’endettement du pays, dont la dette publique devrait connaître la cinquième plus forte hausse d’Afrique subsaharienne sur la période de trois années 2020-2022, selon le FMI, pour atteindre 68,1 % du PIB fin 2022, en hausse de 18,3 points de pourcentage (et 77,3 % pour le Sénégal, en hausse de 13,7 points, avec une baisse attendue à partir de 2023).
En faisant partie de l’Afrique francophone, le Sénégal fait d’ailleurs également partie de la zone la moins dépendante du continent à l’égard des aides étrangères (hors grands pays pétroliers et miniers), mais aussi globalement la moins endettée, la plus dynamique économiquement (ayant réalisé en 2021 les meilleurs performances économiques du continent pour la huitième année consécutive, et la neuvième fois en dix ans), la plus stable, la moins inégalitaire et la moins violente.
Les différentes réussites du Sénégal lui permettent ainsi de démontrer que démocratie et liberté d’expression ne sont pas incompatibles avec le progrès économique et social. De même, le Sénégal peut se féliciter d’être parvenu à atteindre ce niveau de développement avant de devenir un producteur de gaz et de pétrole, suite à la découverte d’assez importants gisements au large de ses côtes. Mais afin de lui être réellement profitable, cette nouvelle et importante manne qui s’annonce ne devra pas entraver la poursuite des réformes et des efforts de diversification et d’industrialisation du pays. Celui-ci devra notamment s’inspirer des pays pétroliers du Nord (Norvège, Royaume-Uni, Canada, États-Unis), qui ont toujours su développer les différents pans de leur économie, au nom de l’indépendance nationale, tout en atteignant un niveau élevé en matière de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption et les détournements de fonds.
Source : lyes Zouari
Président du CERMF (Centre d’étude et de réflexion sur le Monde francophone)
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