La situation politique au Soudan devient, jour après jour, de plus en plus complexe, et le pays s'enlise dans des crises politiques, économiques et sécuritaires, depuis que le commandant de l'armée, Abdelfattah al-Burhan, a pris une série de mesures, en date du 25 octobre dernier, lesquelles mesures ont abouti à ce que la composante militaire de l’autorité s'empare du pouvoir sans la participation de ses partenaires civils.
Le conflit demeure aigu entre les militaires et leurs partisans d’une part, et les forces révolutionnaires et politiques qui conduisent une dynamique protestataire permanente dans le pays.
Toutefois, ces forces civiles disposent d’une capacité insuffisante pour surmonter les différends politiques qui ravagent leur unité et la possibilité de former un gouvernement consensuel à même de diriger le pays, au cours de cette phase transitoire qui a succédé au départ du régime de l’ancien président Omar Hassan al Béchir (1989-2019).
Avec l’annonce d’une nouvelle coalition appelée « Les Forces du Changement radical » et qui compte en son sein le Parti communiste, le « Rassemblement des professionnels » et d’autres organisations politiques et corporations professionnelles, les forces politiques de l’opposition au Soudan deviennent ainsi scindées en trois courants.
Il s’agit des « Forces de la Déclaration de la Liberté et du Changement » (ancienne coalition au pouvoir), des « Forces du Changement radical » et d’un troisième courant composé des « Comités de la Résistance ». Toutes ces forces ont, en dépit de leurs divergences, le même objectif, en l’occurrence, celui de faire avorter le coup d’Etat du mois d’octobre dernier.
Des forces en conflit
Les positions des courants de l’opposition au Soudan sont divergentes et vacillent entre ceux qui acceptent de discuter avec les militaires pour mettre fin aux mesures d’al-Burhan, ceux qui rejettent cette configuration et d’autres encore qui ne s’opposent pas à ce que les militaires dirigent les affaires sécuritaires du pays.
Une autre divergence dans les positions des forces politiques consiste en la gestion par l’Etat, au cours de cette phase transitoire, des dossiers prioritaires, tels que la justice, la réforme de l’appareil d’Etat et des services sécuritaires et la réalisation de la paix, dans la mesure ou plusieurs mouvements rebelles n’ont pas signé l’Accord de paix de Juba du mois d’octobre 2020.
Ces différents courants politiques ont tous des avis divergents par rapport aux positions des militants et activistes des « Comités de Résistance » qui conduisent les protestations dans les quartiers et les villes, en brandissant des slogans du genre « Ni négociation, ni partenariat, ni légitimité » et qui revendiquent d’écarter les militaires du pouvoir.
Formés dans les villes et villages après l’enclenchement des protestations du 19 décembre 2018, les « Comités de Résistance » ont joué un rôle de premier plan dans l’organisation des manifestations qui sont parvenues à faire chuter le chef de l’armée de l’époque, l’ancien président Omar Hasan al-Bachir, en date du 11 avril 2019.
Le temps est compté
Selon nombre d’observateurs, aucun espoir de parvenir à un accord entre les forces politiques ne se profile à l’horizon dans un avenir proche, ce qui sert les intérêts des militaires et de leurs partisans appartenant à d’autres coalitions, telle que « Les Forces de la Déclaration de la Liberté et du Changement – Groupe du consensus national », qui sont des forces politiques qui affichent leur appui aux mesures annoncées par al-Burhan.
L’analyste politique Othman Fadhlallah estime peu probable que les forces politiques parviennent à s’unir, dans la mesure où leurs différends « prolifèrent en l’absence de canaux de résolution de leurs divergences, et compte tenu de leurs positions quasiment diamétralement opposées ».
Dans une déclaration faite à l’Agence Anadolu, Fadhlallah a indiqué que « l’émiettement des forces politiques et les conflits qui les secouent hâteront la formation par les militaires d’un gouvernement, dans la mesure où le pays évolue sous une vacance constitutionnelle et gouvernementale ».
Il a ajouté que « les dirigeants de l’armée n’attendront pas plus longtemps le fait que les politiques ne parviennent pas à former un gouvernement pour diriger les affaires du pays ».
Le 4 juillet dernier, al-Burhan a annoncé le retrait de l’armée du Dialogue national, dans le but « d’ouvrir la voie aux forces politiques et révolutionnaires et aux composantes nationales pour former un gouvernement de compétences nationales indépendantes, qui parachèvera la réalisation des exigences de la phase transitoire ».
Il avait ajouté à l’époque : « Après la formation d’un gouvernement exécutif, on procédera à la dissolution du Conseil de la Souveraineté et à la formation d’un Haut Conseil des Forces armées ».
Confirmant ses récentes décisions, al-Burhan a décidé, quelques jours plus tard, de démettre les personnalités civiles membres du Conseil de la Souveraineté, dans le but d’aménager l’échiquier pour la participation des partis et des forces politiques.
Le processus du Dialogue national a démarré sous les auspices de l’ONU et sous parrainage africain, le 8 juin dernier, pour mettre fin à la crise politique, mais ce processus a été suspendu après le retrait de la composante militaire.
Plusieurs scénarios possibles
L’analyste politique Amir Babakr Abdallah approuve la position en vertu de laquelle il existe une réelle difficulté à parvenir à un consensus entre les forces politiques dans le pays.
Dans une déclaration faite à l’Agence Anadolu, Babakr Abdallah a souligné qu’il est « difficile de parvenir à un consensus entre les forces politiques au sujet d’un gouvernement qui sera un outil de pression à exercer sur l’armée jusqu’au retour de la Grande muette à ses casernes ».
« Al-Burhan a jeté l’hameçon du consensus politique et de l’unité des partis depuis longtemps, comme condition pour céder le pouvoir aux civils, ce qui constitue une option difficilement réalisable », a-t-il dit.
Babakr indique que « les trois scénarios actuels dans le paysage soudanais sont soit l’union des forces politiques, ou la constitution par les militaires d’un gouvernement de gestion des affaires courantes avec pour mission de préparer les prochaines élections, ou encore la continuité des forces politiques de leur escalade jusqu’à faire chuter le coup d’Etat ».
Et Bababkr Abdallah de poursuivre : « Je prévois l’annonce par les militaires de la formation d’un gouvernement de gestion des affaires courantes qui sera chargé d’organiser les élections en dépit de la difficulté de cela, et ce en raison de l’absence d’un parlement qui approuvera la loi électorale ».
« Les élections nécessitent plusieurs mesures, dont la réalisation d’un recensement de la population, le découpage des circonscriptions électorales et d’autres exigences encore ».
Notre interlocuteur estime que « les Forces politiques vont accentuer leur escalade dirigée contre les militaires et ce scénario est le plus réaliste compte tenu de la poursuite des crises qui secouent le pays ».
Ancien régime
Mohamed Abdelhakam, dirigeant au sein des « Forces de la Déclaration de la Liberté et du Changement » (ancienne coalition au pouvoir), considère que les militaires s’activent, dans un cercle qui attire les forces de l’ancien régime (régime d’al Bachir), et ce sont ces forces-là qui tracent les contours du paysage politique.
Dans une déclaration faite à AA, Abdelhakam estime que « les méthodes trompeuses utilisées par les militaires sont désormais connues, à travers les tentatives de faire croire à l’opinion publique que l’armée est revenue dans les casernes, bien que les décisions d’al-Burhan ne sont que la consécration du coup d’Etat du 25 octobre ».
L’objectif de tout cela, a-t-il dit, consiste à former un gouvernement civil qui a une autorité fictive ».
Abdelhakam a ajouté : « Al-Burhan parie sur le délai accordé aux civils pour parvenir à un consensus, dans la mesure où le consensus des Forces politiques au Soudan ressemble à la quadrature du cercle et est quasi impossible à atteindre, d’autant plus que certaines forces civiles sont manipulées par les autorités militaires putschistes ».
Et notre interlocuteur de conclure : « Il est important de déterminer les protagonistes de la crise entre les putschistes et ceux qui leurs sont hostiles. La majorité des forces hostiles au coup d’Etat sont capables de parvenir à un accord a minima qui les unit sous la férule des revendications révolutionnaires qui aspirent à la liberté, à la paix et à la justice ».
Avant les mesures d’al-Burhan, le Soudan connaissait, depuis le 21 août 2019, une phase transitoire devant se poursuivre, pendant 53 mois, et qui aurait été couronnée par des élections à l’orée de 2024.
Il était prévu que le pouvoir sera partagé au cours de cette phase entre l’armée, les forces civiles et des Mouvements armés signataires d’un accord de paix avec le gouvernement en 2020.
Source Agence Anadolu
Réagissez à cet article