En Afrique, la digitalisation entraîne des changements importants dans le fonctionnement traditionnel des secteurs économiques. Du commerce à l'agriculture, en passant par la santé, c'est une multitude d'opportunités qui s'offrent aux différents acteurs grâce aux innovations technologiques. Ces transformations touchent l'économie du continent à travers plusieurs secteurs clés.
Alors que le système éducatif africain souffre d’un manque de moyens, la technologie offre des alternatives pour améliorer sa portée et résoudre certains de ses goulots d’étranglement, tout en gardant l’enseignant au cœur du processus.
Contraction des termes « éducation » et « technologie », l’edtech s’assimile à l’utilisation de la technologie pour améliorer l’enseignement et l’apprentissage. Le secteur gagne depuis quelques années en importance sur le continent africain, comme l’illustre notamment la progression des financements obtenus par les start-up qui innovent dans ce domaine.
Selon Partech, elles ont ainsi levé 291 millions de dollars l’année dernière, contre 124 millions de dollars en 2019, soit une croissance de 134 % en deux ans. Surtout, l’edtech est devenu en 2021 le troisième secteur ayant mobilisé plus de fonds, derrière l’indétrônable fintech et les start-up de logistique. Seulement, ces statistiques cachent une autre réalité, celle du caractère embryonnaire de l’edtech dans la plupart des pays africains.
Comme dans les autres secteurs où la technologie prend de l’importance en Afrique, le Nigeria règne ici aussi en maître avec 240,5 millions USD mobilisés par les jeunes pousses actives dans la première économie du continent, contre 27,5 millions USD pour son dauphin sud-africain, suivi de 10,9 millions en Égypte. Ces trois pays concentrent donc 95 % des investissements dans le secteur des technologies de l’éducation en 2021.
Néanmoins, les perspectives pour le secteur restent prometteuses et davantage de pays et de start-up devraient attirer des financements sur cette décennie. Le Kenya et le Ghana qui ne figuraient pas dans les levées de fonds au profit des edtech recensées par Partech en 2019 ont ainsi respectivement obtenu 4,5 millions USD et 300 000 USD l’année dernière.
Cet optimisme peut s’expliquer par les difficultés persistantes rencontrées par l’éducation, sur le continent, et que la technologie peut aider à surmonter. Par exemple, l’Afrique subsaharienne est la région où le pourcentage d’enseignants qui répondent aux normes nationales est le plus faible au monde, selon les données de l’UNESCO issues de son « rapport mondial de suivi sur l’éducation, 2021-2022 ».
Soit 57 % au niveau préscolaire, 67 % pour le primaire et 61 % au secondaire. Cela oblige les enseignants formés à gérer pratiquement deux fois plus d’élèves que la moyenne mondiale.
Le recours à la technologie permet de combler ce déficit d’enseignants, car les cours peuvent être mis sur support numérique et rendus accessibles aux apprenants en dehors des situations de classe, sans limitation de nombre. Ces derniers peuvent évoluer donc à leur rythme dans la découverte des notions enseignées.
Pour les couches défavorisées, ces cours dématérialisés représentent aussi une alternative à moindre coût aux cours de renforcement à domicile, pour peu que les infrastructures de connexion à Internet et les appareils électroniques soient mis à leur disposition à coût réduit.
Le terreau fertile offert par la Covid-19
Bien que les innovations technologiques dans l’éducation ne rencontrent pas encore en Afrique le même succès que les fintech, davantage de solutions voient le jour depuis deux ans. La crise sanitaire mondiale de la Covid-19 a en effet secoué le fonctionnement classique de presque tous les secteurs d’activité, et l’éducation n’a pas fait exception.
Pour survivre à l’assaut du virus, des restrictions ont été mises en place et ont coupé court aux interactions humaines. Selon l’UNESCO, les écoles ont été fermées pendant 28 % des jours et partiellement fermées pendant 26 % des jours, entre mars 2020 et octobre 2021. Pour pallier cette situation handicapante pour l’enseignement, l’apprentissage à distance s’est vite imposé comme une évidence.
En Afrique, plusieurs initiatives ont donc vu le jour pour permettre aux élèves et étudiants de continuer à suivre les cours depuis la maison.
Au Bénin, l’accent a notamment été mis sur les classes d’examen (3e et terminale) avec le projet Class19. Il a consisté en une cinquantaine de vidéos produites pour chacune de ces classes dans cinq matières que sont le français, les SVT (sciences de la vie et de la Terre), l’anglais, les mathématiques et la physique chimie et technologie (PCT).
L’ensemble a ensuite été distribué via des DVD sur toute l’étendue du territoire national, mais également en ligne. En Côte d’Ivoire, les capsules vidéo ont plutôt été diffusées à la télévision nationale, mais aussi sur les plateformes ecole-ci.online et maformationenligne.cpntic.ci. La radio et la télévision ont aussi permis aux apprenants de suivre les cours au Ghana et dans d’autres pays du continent.
On le remarque, l’usage des nouvelles technologies a été assez marginal et s’est surtout limité à l’enseignement supérieur avec l’utilisation de logiciels de visioconférence. Là encore, un sondage de l’UNESCO auprès des étudiants d’Afrique subsaharienne révèle que seulement 39 % d’entre eux étaient inscrits dans des établissements ayant mis en place des solutions d’apprentissage à distance.
Même tendance aux niveaux inférieurs avec une autre enquête de l’organisation onusienne dans six pays d’Afrique subsaharienne. Au Burkina Faso, au Malawi, au Mali, en Ouganda, au Nigeria et en Éthiopie, les applications d’edtech mobiles étaient « l’approche d’apprentissage à distance la moins répandue ».
Seuls 12 et 17 % des apprenants l’ont utilisé au Nigeria et en Éthiopie, contre pratiquement aucun dans les autres pays susmentionnés.
Ce faible recours à des plateformes numériques peut s’expliquer par certaines des difficultés communes à toutes les initiatives numériques en Afrique. Il s’agit par exemple du faible taux de pénétration du smartphone (plus de la moitié des Africains ne’en possèdent pas d’après l’Association mondiale des opérateurs de téléphonie, GSMA).
Le coût de l’appareil ne devrait en outre pas améliorer à moyen terme cette statistique puisqu’il faut débourser en moyenne 62 $ pour se le procurer, d’après un rapport de 2020 de l’Alliance for Affordable Internet (A4AI). Cela représentait 62,8 % du revenu national brut mensuel par habitant…
« Avoir un accès Internet de bonne qualité peut représenter jusqu’à 60 % voire même 70 % du SMIG. Le fait de gagner par exemple 60 000 francs CFA et de vouloir accéder à la fibre optique en déboursant 30000 francs CFA relève de l’impossible », précise Abossé Akue-Kpakpo, directeur de l’Économie numérique à la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), relayé par CEO Afrique.
S’adapter pour prospérer
Pour surmonter les obstacles à l’émergence de l’edtech en Afrique, le rôle des gouvernants n’est plus à souligner. Ils doivent notamment œuvrer à l’amélioration de la couverture des infrastructures de télécommunication et sensibiliser les éducateurs et apprenants sur les bénéfices de la technologie. De leur côté, La GSMA et l’A4AI militent pour que ces efforts incluent aussi des mesures pour améliorer l’accessibilité des appareils mobiles.
Pour le moment, les start-up africaines actives dans l’edtech s’attèlent à mettre en place des dispositifs qui ne dépendent pas de ces aléas ou les contournent. Que ce soit avec les tablettes éducatives disposant de cours et exercices préenregistrés, du mode hors ligne permettant de poursuivre l’apprentissage sur les applications mobiles même sans accès à Internet ou du recours à des supports physiques comme des DVD ou des clés USB, l’adaptation aux réalités actuelles du continent sera la clé.
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